Tchad, pays pétrolier très endetté ?



Comment un pays pétrolier depuis 2004, tirant plus de 2 milliards de dollars par an de sa production pétrolière (entre 100 et 150 000 barils/jour selon les années et les estimations), peut-il être éligible à l'initiative pays pauvres très endettées (IPPTE) ?

A la suite du consensus de Washington de 1989 sont nés les Programmes d'ajustement structurel (PAS), qui, en l'échange de prêts de la part du FMI, exigeaient des politiques d'austérité souvent drastiques (réduction du nombre de fonctionnaire, coupes dans les dépenses sociales...). Ces PAS ont été désastreux pour tous les pays qui en ont bénéficié, les conduisant à des crises sociales sans précédent.

A la suite de l'endettement insoutenable des pays en voie de développement (provoqué en partie par les PAS), le FMI et la Banque Mondiale ont essayé de corriger le tir en lançant l'IPPTE. Cette initiative a pris de l'ampleur au cours des années 2000. Elle a vocation à alléger de manière intégrale la dette des pays qui ne peuvent plus la supporter, en l'échange de réformes et d'une meilleure gouvernance.

35 pays ont atteint le point d'achèvement de cette initiative et ont bénéficié d'un bol d'air indispensable à leur développement. Parmi eux, dernièrement le Tchad.

Il était temps, dirons-nous. Car des pays qui se sont engagés dans ce processus, le Tchad faisait partie des 4 derniers, en compagne d'habitués des bas-fonds des classements internationaux (Soudan, Somalie et Érythrée). Notre pays n'a jamais été capable de mener les réformes exigées par les bailleurs internationaux dans le DSRP (Document stratégique de réduction de la pauvreté) et qui avaient vocation à doper les dépenses sociales. Santé, éducation, transports, énergie...Des priorités, pourtant nécessaires au bien-être du tchadien « moyen », ont été délaissées au profit de l'enrichissement d’une minorité et d'une faramineuse course à l'armement.

Et pourtant, les institutions de Breton Woods viennent d'annoncer que le Tchad a atteint le point d'achèvement de l'IPPTE le 28 avril dernier. A Ndjamena, les zélateurs de la dictature en place crient victoire, se félicitant de « ce grand pas en avant sur la voie de l'émergence ». En réalité, cette pseudo-réussite ne peut se comparer qu'à une course de fond où le Tchad serait arrivé, comme toujours, 36ème sur 39. Et encore... Car, si l'on se fie aux DSRP successifs, le Tchad n'est de loin pas éligible au point d'achèvement de l'IPPTE. Les réformes sociales n'ont pas été entreprises, les dépenses publiques dans le secteur de la santé représentent moins de 3 % du PIB, le taux d'alphabétisation est un des pires de la planète (35,4 % de la population, à peine des 12 % des femmes), l'électricité manque toujours de façon criante, y compris dans la capitale Ndjamena.

De plus, l'endettement du Tchad se trouve loin d'être insoutenable. En 2000, au moment de l'entrée dans le point de décision de l'IPPTE et de son premier DRSP, le Tchad connaissait un taux d'endettement qui atteignait 66,1 % du PIB. En 2013, il n'est plus que de 18,7 %. A titre de comparaison, l'endettement de la France se monte la même année à 93,5 % et celui du Japon au chiffre record de 245 %. En temps normal, avec sa production pétrolière, le Tchad ne devrait donc avoir aucun mal à effacer ces ridicules 18,7 %.

Alors pourquoi ce point d'achèvement de l'IPPTE ? Et pourquoi maintenant ? Il suffit de faire preuve d'un peu de bon sens et à défaut, de lire la dernière Lettre du continent. L'allégement de la dette du Tchad de 1,1 milliards de dollars a été octroyé par les bailleurs internationaux du Club de Paris en remerciements de l'implication de l'armée tchadienne dans plusieurs conflits (Centrafrique, Mali, Nigeria et Cameroun contre Boko Haram ou plus récemment Yémen aux côtés de l'Arabie Saoudite). Le Ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, grand allié du systeme, a notamment milité pour cet allégement qui défie toutes les lois de la logique.

En théorie, le Tchad a la chance de disposer de ressources qui lui permettraient, de se faire une place au soleil des pays émergements. Le M3F, soucieux de la bonne gouvernance, milite pour une meilleure gestion de l'argent public, redistribué aux citoyens et non à une petite caste de privilégiés triés sur leur capacité d'allégeance au régime. Et il interpelle les bailleurs internationaux, au premier rang desquels le FMI, la Banque Mondiale et l'Etat français afin qu'ils cessent de se montrer complices de pareils agissements. Fidèle à son idéal de « nationalisme ouvert », le M3F clame haut et fort que le Tchad n'a pas besoin d'allégement de dette qui sera de toute façon détourné par la famille présidentielle. Il a plutôt besoin d'un changement de régime, pacifique mais radical, pour quitter définitivement le club des pays pauvres très endettés.

Fait à Ridina

Le 10 Mai 2015

Collectif

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