Manque d'eau potableIdriss Déby, le président tchadien, est-il en train dedevenir le nouvel homme fort de l’Afrique sahélo-saharienne et de l’Afriquecentrale ? Au cours des derniers mois, le chef de l’Etat, au pouvoir depuis vingt-deux ans et allié traditionnel de la France, est apparu en première ligne dans plusieurs crises du continent. Cette implication croissante offre au pays, régulièrement épinglé pour ses carences démocratiques et sa gestion des revenus pétroliers, une nouvelle stature régionale.

Dès le mois de janvier, le Tchad a fait savoir qu’il enverrait des troupes au nord du Mali pour participer à l’opération Serval. Avec 2 000 soldats sur le terrain, commandés par l’un des fils du président, le Tchad a apporté un appui décisif à la France qui compte quelque 1 000 militaires sur la base française de N’Djamena.

Le contingent tchadien a payé un lourd tribut dans la guerre : 30 soldats tués, dont 4, vendredi 12 avril, dans un attentat à Kidal. Il a fait la preuve de son efficacité militaire dans le désert malien. N’Djamena a revendiqué la mort de deux des principaux chefs d’Al-Qaida au Maghreb islamique, Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar. L’élimination de ce dernier n’a pas été confirmée par d’autres sources.

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« UNE PUISSANCE MILITAIRE INCOMPARABLE » 

En République centrafricaine (RCA), victime d’un coup d’Etat le 24 mars, les motivations tchadiennes sont différentes, mais le grand voisin y joue aussi un rôle incontournable. Après avoir envoyé des troupes en décembre 2012 lors de l’offensive de la coalition rebelle de la Séléka contre le président François Bozizé, Idriss Déby se place au cœur de la transition. C’est à N’Djamena qu’a eu lieu, le 3 avril, le premier sommet extraordinaire réunissant les chefs d’Etat de la région et destiné à trouver une sortie de crise. La capitale tchadienne accueillera une seconde réunion le 18 avril.

Autre aspect de cette offensive diplomatique, le président tchadien est très actif au sein des organisations régionales, notamment la Communauté des Etats sahélo-sahariens (Cen-Sad), créée en 1998 par Mouammar Kadhafi. Depuis la disparition du Guide libyen, le pays tente de reprendre la main. « Idriss Déby profite du vide dans la région, dû à la disparition de Kadhafi, pour essayer de s’imposersouligne Thierry Vircoulon, de l’International Crisis Group. S’il ne peut pas rivaliser sur le plan financier, le Tchad a en revanche une puissance militaire incomparable. »

Autre atout : la stabilité, même relative, du pays dans un contexte régional difficile. Après des décennies de conflit, le Tchad a vaincu en 2008 les mouvements de rébellion qui menaçaient le régime et mis fin en 2009 à une guerre interminable avec le Soudan voisin.

 « LE TCHAD FAIT PARTIE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE »

Beaucoup voient dans la transformation de N’Djamena le signe des ambitions régionales du pouvoir tchadien. Idriss Déby voudrait en faire la vitrine d’une économie devenue productrice de pétrole en 2003, et dont la croissance a atteint 7 % en 2012. Depuis 2008, les constructions se sont multipliées dans la ville. La plupart des routes ont été goudronnées, des quartiers d’habitations entièrement rasés pour en faire des places. Plusieurs chantiers importants, dont celui du siège de la télévision, sont en cours. La monumentale place de la Nation, avec son arc de triomphe, a été réalisée pour le cinquantenaire de l’indépendance du pays en 2010.

Inondations 3Interrogé dimanche 14 avril dans le cadre de l’émission « Internationales » (TV5 Monde, RFI et Le Monde), Idriss Déby s’est défendu de vouloir jouer un rôle de leader régional. Le pays n’en a « ni l’intention ni les moyens », a-t-il expliqué. L’ensemble de ses déclarations y fait pourtant implicitement référence : « Le Tchad est prêt àapporter sa contribution quand il s’agit de la paix et de la stabilité dans la sous-région et en Afrique. » Au nord du Mali, le pays participera à la future mission onusienne : « Le Tchad fait partie de la communauté internationale. Et si l’ONU en fait la demande, il mettra des soldats tchadiens à sa disposition », a expliqué le chef de l’Etat.

Le régime tchadien sait qu’il a beaucoup à gagner dans cette stratégie. « Au cours des dernières années, le Tchad a compris que le fait de participer à des opérations militaires internationales vous met beaucoup plus à l’abri d’éventuelles critiques sur votre politique intérieure, souligne Roland Marchal, chercheur au CERI. Le président Déby est régulièrement mis en cause pour la concentration des pouvoirs politique, économique et militaire. Pour les petits pays qui pèsent peu sur l’échiquier géopolitique, la variable militaire est un atout. »

« SE RAPPROCHER DES PAYS DE LA CÉDÉAO »

Le chercheur poursuit : « Avec l’intervention au Mali, il s’agit aussi de se rapprocher de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest dans un objectif commercial. » Pays enclavé, le Tchad est entouré d’Etats avec lesquels il est difficile de commercer : Soudan, RCA, Nigeria. Les occasions de la faire seraient, pour lui, beaucoup plus importantes avec les pays d’Afrique de l’Ouest.

Pour l’opposition politique et la société civile, très affaiblies, l’analyse est différente. « Nous avons d’autres soucis que l’armée et que de jouer les gendarmes de l’Afrique. Ce n’est pas cela qui permettra le développement et le rayonnement du Tchad », estime le député Salibou Garba. Interrogé sur le risque que cette nouvelle stature régionale accentue la concentration des pouvoirs, un militant des droits de l’homme reste prudent : « Cela donne plus de pouvoir au président. En même temps, il s’insère dans un contexte global, avec des valeurs, et ne peut pas faire n’importe quoi. »

Par Charlotte Bozonnet, envoyée spéciale à N’Djaména

Lire l’article sur lemonde.fr/afrique: Le président Idriss Déby veut faire du Tchad un acteur majeur en Afrique

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