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Ce pourrait être une fable africaine narrée sous le manguier par un griot goguenard. Si la liberté d’un homme, député de surcroît, n’était pas en jeu, il y aurait à coup sûr lieu d’en sourire. Las !, cet épisode atteste, après tant d’autres, le prurit arbitraire du pouvoir tchadien et la docilité d’une justice aux ordres.

Arrêté le 4 mars pour complicité de braconnage, tentative de corruption et détention illégale d’arme, l’universitaire et opposant Gali N’Gothé Gatta a été condamné le 7 mars par le tribunal de Sarh, avant de comparaître de nouveau le 10 avril devant la Cour d’appel de Moundou. Là, le procureur de la République a requis cinq ans de prison ferme et 200000 francs CFA -soit un peu plus de 300 euros- d’amende. Le forfait de l’élu ? Selon des récits convergents, son chauffeur et deux amis de celui-ci avaient, en son absence, ramassé un phacochère tué puis passé par les armes un autre cochon sauvage. Le député aurait aggravé son cas en remettant à un agent des services de l’environnement, qui avait surpris le trio en pleine action, la somme de 50000 CFA, afin que le fonctionnaire rejoigne son poste sans bourse délier.

A l’évidence, le dossier ne tient pas la piste. D’autant que Gali N’Gothé Gatta bénéficie d’une immunité parlementaire qui ne peut tomber qu’en cas de flagrant délit. Or, à l’instant des faits, l’intéressé se trouvait à 70 kilomètres des lieux du « crime ». « Une mise en scène visant à le bâillonner, tranche Me Delphine Kemnéloum, l’une des avocates du prévenu. L’implication de l’exécutif est indubitable ». De fait, le ministre de la Justice, Abdoulaye Sabré Fadoul, a jugé utile à la faveur d’une conférence de presse, d’adresser ses « félicitations » au procureur, au président du tribunal et aux juges pour leur « travail remarquable, empreint de sang-froid et de professionnalisme ». Pour l’anecdote, le Garde des Sceaux cumule depuis la fin février ses fonctions avec celles de ministre de l’Assainissement public et de la Bonne gouvernance, après que le titulaire dudit maroquin eût été démis pour malversations financières.

L’affaire survient dans un contexte épineux pour Idriss Déby Itno et son clan. Le 4 avril, la Haut-Commissaire adjointe des Nations unies aux Droits de l’Homme avait qualifié de « problème urgent » l’impunité judiciaire qui prévaut au Tchad. Allusion à l’inertie de la Thémis locale envers les acteurs de la répression déclenchée au lendemain de l’assaut mené en 2008 par des colonnes rebelles jusqu’aux portes du palais présidentiel. Répression fatale notamment à Ibni Oumar Mahamat Saleh, figure de proue de l’opposition portée disparue depuis lors. Dans un rapport publié l’avant-veille, un collectif d’ONG avait souligné qu’ « aucun responsable gouvernemental ou de l’armée n’a été inquiété » à ce stade.

Pour autant, nul ne pourra prétendre que les autorités de N’Djamena bafouent les droits de la défense. Du moins ceux de la défense -et des défenses- du phacochère.

Vincent Hugeux

Tag(s) : #POLITIQUE TCHAD
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