Quatre ans après l'enlèvement de l'opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh, à N'Djamena, il est temps pour la France de déclassifier tous les documents, y compris les secrets-défense, relatifs aux événements de février 2008.

 

Il y a quatre ans, le 3 février 2008, l'opposant politique tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh - président du Parti pour les libertés et le développement (PLD) - était enlevé à son domicile de N'Djamena, devant sa famille, par les forces armées gouvernementales, à l'occasion de la répression de la tentative de coup d'État menée par les forces rebelles quelques jours plus tôt.

 

Sept mois plus tard, début septembre 2008, une commission d'enquête nationale établissait la responsabilité de la garde présidentielle dans cette disparition forcée et posait la question de l'implication du président tchadien Idriss Déby Itno dans cette affaire (1). Dans la foulée, une procédure judiciaire était ouverte au Tchad. Depuis lors, aucune personne n'a été traduite en justice. Faute de volonté politique, la procédure judiciaire piétine.

 

Quatre années ayant passé, les autorités tchadiennes auraient pu croire que l'affaire Ibni Oumar Mahamat Saleh allait être enterrée comme bien d'autres affaires semblables au Tchad. Cette absence de vérité et de justice a, au contraire, poussé sa famille établie en France, ses amis, des parlementaires français et des associations de défense des droits de l'homme à se mobiliser encore plus fortement en France et au niveau international.

En mars 2010, à la suite de cette mobilisation, l'Assemblée nationale française votait à l'unanimité une résolution demandant au gouvernement français de faire pression sur les autorités tchadiennes afin que toute la lumière soit faite sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh. Fin 2010, les autorités tchadiennes autorisaient enfin la venue d'experts internationaux pour réaliser un état des lieux des travaux du comité de suivi des recommandations de la commission d'enquête de 2008. Courant 2011, deux experts de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l'Union européenne (UE) se rendaient, à plusieurs reprises, à N'Djamena.

Aucune avancée significative n'a été constatée en ce qui concerne l'affaire Ibni Oumar Mahamat Saleh et il y a tout lieu de penser que l'enquête se dirige vers un non-lieu.

De son côté, la France, tout en appelant publiquement à ce que la vérité soit établie, n'a pas souhaité s'engager directement dans le suivi de cette affaire, et a laissé l'OIF et l'UE s'empêtrer dans ce fiasco juridico-politique. Il est vrai que cette affaire embarrasse la France au plus haut point. La présence de conseillers militaires français auprès de la présidence tchadienne pendant les combats de février 2008, et notamment au moment de l'enlèvement d'Ibni Oumar Mahamat Saleh, pourrait être de nature à impliquer la responsabilité de la France y compris la responsabilité pénale individuelle de certains de ses militaires.

Pour aider la famille d'Ibni Oumar Mahamat Saleh à obtenir la vérité sur son sort et que justice lui soit rendue, il est temps, pour la Présidence de la République et les ministères de la Défense et des Affaires étrangères, de déclassifier tous les documents, y compris les secrets-défense, relatifs aux événements de février 2008, comme le demande depuis plusieurs années parlementaires et associations de défense des droits de l'homme. Ces documents pourraient en effet permettre à la famille d'Ibni Oumar Mahamat Saleh d'obtenir des informations complémentaires susceptibles de relancer la procédure judiciaire... peut-être ailleurs qu'au Tchad.

(1) Selon le rapport, « l'impossibilité que cette action soit le fait d'une initiative personnelle d'un quelconque militaire subalterne [...] met en évidence l'implication des plus hautes autorités militaires tchadiennes ». Les auteurs du rapport posent ainsi la question du rôle du chef de l'État tchadien dans la chaîne de commandement : « Si la preuve n'est pas faite de sa participation ou de son instigation, il est toutefois permis de se poser la question suivante : dans un régime avec une très forte centralisation du pouvoir, un militaire, même de haut rang, pouvait-il, sans l'assentiment du président de la République, organiser à la fois la disparition des opposants politiques, leur détention et la réapparition dans une enceinte militaire ? Sachant par ailleurs, que le dimanche 3 février, la présidence était le seul endroit opérationnel de la capitale où les différentes autorités s'étaient retranchées, aux côtés du chef de l'État ».

Tag(s) : #POLITIQUE TCHAD
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